Voilà le poisson comme je l’aime: avec une fine croute de sel, donnant l’illusion d’être figé dans son linceul mais encore dans son mouvement, comme accroché vaillamment à la vie chaque fois que les baguettes viennent lui chatouiller les flancs, lui ausculter les joues.
La peau est croquante, ou presque. Elle se décolle de la chair, entrainant avec elle quelques grains de sel qui craquent sous la dent, provoquent inévitablement une soif que je soulage avec un jus de pastèque. La chair en question est blanche, ferme et délicate en bouche, parfumée d’un généreux bouquet de citronnelle inséré dans le poisson et qui jaillit quelquefois de sa mâchoire.
Dans ce petit restaurant en bordure du Mékong, on a pris le soin de découper la peau, plus cuite et croustillante encore qu’elle ne le pouvait être à Vang Vieng. C’est une incision minutieuse, chirurgicale qui ne m’enchante pas (j’aime par-dessus tout cette étape émouvante ou à l’aide de mes baguettes, du pouce et de l’index, je fais passer la chair blanche du poisson de l’invisible au visible) mais qui facilite néanmoins son approche.
Ce serait folie, me dis-je chaque fois, d’en tremper quelque morceau dans cette coupelle de sauce pimentée qui accompagne le poisson. Je préfère le savourer comme il se présente, au naturel, qui est la meilleure manière de lui rendre hommage, d‘autant plus que ces délicieux parfums de citronnelle l‘habillent d‘une robe de bal. On croirait cette association la définition du bonheur.