Jamais aussi heureux que dans une plantation de thé. Par exemple celles de Bao Loc, dans la province de Lâm Dông, sur la route de Dalat, entre 850 et 950 mètres d'altitude, le sol basaltique très fertile, riche en humus et un climat doux offrent d'excellentes conditions à la culture de ce thé au goût doux et parfumé quand en comparaison le thé cultivé dans le nord à plus haute altitude se distingue par des saveurs plus prononcées voir légèrement âcres, certaines marques n'hésitant pas après cueillette à faire bouillir les bourgeons de thé afin de réduire considérablement l'amertume, pratique qui me laisse plus que dubitatif.
Les premières plantations de thé font leur apparition à moins d'une vingtaine kilomètres de Bao Loc et c'est comme à chaque fois les mêmes frissons qui se propagent sur ma peau encore fraîche d'être entrée en contact avec l'air vivifiant de l'aube, car rien n'est plus grisant ni émouvant que de surprendre les feuilles de thé au petit matin, encore recouvertes de rosée, les feuilles en équilibre précaire.
Je vais approcher les feuilles de thé d'encore plus près, forcer leur intimité, me faire un peu voyeur, c'est à dire les respirer à plein poumons dans la foulée des indispensables étapes de flétrissage puis de brassage (on produit dans la région principalement du thé oolong, autrement dit semi-fermenté et comme dans le nord de la Thaïlande, les Taïwanais ont importé puis transmis leur savoir faire) ce moment ou elles livrent à pleine puissance leurs arômes frais et floraux qui me font presque tourner la tête.
Si en période de vacances les fabriques de la région sont pour la plupart fermées, j'ai de la chance que celle de Tâm Châu soit ouverte, quoiqu'elle fonctionne au ralenti (rappelons que pour une superficie de plus de 8400 hectares de plantations de thé, Bao Loc prélève tout de même 65 000 tonnes de feuilles de thé fraîches par an soit 25 000 tonnes de produit fini dont 12 000 tonnes finissent à l'export.)
C'est en ville, dans une des rares maisons de thé que j'ai goûte ce thé que je ne bois plus que très rarement, lui préférant les thés de roche chinois de haute montagne et plus particulièrement ceux de la famille des Phœnix, mon penchant du moment. C'est de passage dans une de ces boutiques que j'apprends que la première infusion est appelée ''jeune fille'' parce qu'elle est pure et doucereuse et la seconde '' jeune femme'', parce qu'intense et profonde. Exactement ce que je me suis toujours dit.
Dans la chaleur naissante d'une fin de matinée ensoleillée il fait bon remonter sur le scooter, parcourir encore quelques kilomètres jusqu'à Lâm Dong et de se promener dans le silence de ces forêts miniatures, laisser la main courir sur les feuilles, au dessus des troncs épais et tortueux. Les théiers devenus par la force des choses des arbres nains à force d'être taillés, travaillés, contrariés par l'homme ne dégagent aucune odeur et c'est tout la beauté de cette flânerie, cette fois-ci dans la plantation de Phu Son (où la récolte du jour s'achève, suivie de la pesée), d'imaginer l'arôme à venir après transformation.
Quelquefois ça ne donne rien, je ne sens que la terre légèrement humide et d'autres c'est comme si la tasse de thé fumante se présentait sous mes narines, prête à être avalée. C'est la magie du thé.