Le café Sidi Chebaane à Sidi Bou Saïd n’est pas le café Hafa de Tanger. A Sidi Bou Saïd, le soleil ne ralentit pas les scènes. On cherchera en vain les chaleurs et paresses d’habitude. Tanger, elle, possède un lieu ou les images prennent leur temps et les bruits résonnent plus juste, que les gestes ne justifient plus. C’est le café Hafa, et dans une moindre mesure la Terrasse des Paresseux, surplombant le marché et ouverte sur la ville basse, le port ou le jour pose très fort sa chape de plomb.
A Tanger, on ne parle que du vent. Souvent, la mer devient folle et les marins sont incapables de prévoir le courant, surtout lorsque souffle le vent d’est qu’on appelle l’ene ou encore à la manière espagnole, le levante, mais que tout le monde ici connait sous le nom de chergui. Il peut se déchainer en toute saison. Quelquefois, lorsque le chergui s’engouffre furieusement dans le détroit, on dirait que la terre tremble et on jurerait que la ville s’apprête à glisser dans la mer, à s’enfoncer dans les limbes, hafa, justement.
Le café Sidi Chebaane est sage, bien plus sage, surtout lorsqu’on s’y présente à la tombée du jour, quand la baie s’éteint dans ce rougeoiement qui la tient en haleine. Qu’une pluie s’abatte subitement sur la colline ou que la chaleur cuise la côte, on y est à l’abri, en sécurité sous les grands parasols. Sidi Chebaane est un café sans histoire, vieux et stérile, tandis que le Hafa continue de bâtir la sienne, avec quelque chose de triste dans le regard. A Sidi Chebaane, c’est un monde susurré que l’on entend, truffé d’ombres et de rumeurs.
Les murmures se confondent et produisent rien qu’une nappe sonore éprouvante. Au café Hafa, les sons retombent oubliés et les conversations semblent venir de très loin devant ce panorama princier qu’est le détroit, ce gouffre rempli d’une lumière uniformément décolorée avec les côtes espagnoles dont la proximité est troublante. La café Sidi Chebaane, lieu de l’accumulation inutile, est comme le prolongement des vacances, de la farniente avec sa plage, son petit port de plaisance situé à ses pieds quand la montagne jaillit d’en dessous du café Hafa et annonce de grands parcours de nuage. La nuit, on entend les hommes tapis dans l’ombre, éclairés par le seul rougeoiement du petit morceau de charbon se consumant à l’extrémité de le narguilé jouer de la darbouka et chanter pour personne sinon la mer, les étoiles, les noyés, vous, peut-être. Hafa, auquel va ma préférence, naturellement.