«La nourriture occidentale, accumulée, dignifiée, gonflée jusqu'au majestueux, liée à quelque opération de prestige, s'en
va toujours vers le gros, le grand, l'abondant, le plantureux; l'orientale suit le mouvement inverse, elle s'épanouit dans l'infinitésimal: l'avenir du concombre n'est pas son entassement ou son
épaississement, mais sa division, son éparpillement ténu (…). Tout y est ornement d'un autre ornement; d'abord parce que sur la table, sur le plateau, la nourriture n'est jamais qu'une collection
de fragments, dont aucun n’apparaît privilégié par un ordre d'ingestion: manger n'est pas respecter un menu (un itinéraire de plats), mais prélever, d'une touche légère de la baguette, tantôt une
couleur, tantôt une autre, au gré d'une sorte d'inspiration qui apparaît dans sa lenteur comme l'accompagnement détaché, indirect de la conversation. (…) L'alimentation reste empreinte d'une
sorte de travail ou de jeu, qui porte moins sur la transformation de la matière première (…), que sur l'assemblage mouvant et comme inspiré d’éléments dont l'ordre de prélèvement n'est fixé par
aucun protocole (…): tout le faire de la nourriture étant dans la composition, en composant vos prises, vous faites vous même ce que vous mangez.»
L'Empire des signes de Roland Barthes fait partie de ces livres de chevet qu'on ne finit jamais de relire, qui sont plus
que des compagnons de route et qui depuis ce jour où ils sont entrés dans votre existence font véritablement corps avec vous, tels des amants unis pour l'éternité. Il en va ainsi de l'Empire des
signes mais aussi de l’Éloge de l'ombre de Tanizaki, des rêveries d'Osamu Dazai, dont les relectures me semblent sans fin.
Aussi, lorsqu'un jour de grand vent je m'attable au
comptoir minuscule de ce non moins minuscule restaurant japonais de seulement 8 couverts, annexe de l'étoilée Aida, faisant office l'après-midi de salon de thé, il est tout naturel
que m'apprêtant à glisser mes
baguettes en bois colorées extrêmement fines et légères dans mon bento à double compartiment, remontent à la surface des fragments de texte de l'illustre
sémiologue qui ne tardent pas à fusionner avec certaines réflexions que pouvait tenir Tanizaki sur la laque.
Ce jour-là la petite boite repas était d'une grande
sobriété, divisée en deux segments - viande et poisson -, sans artifice, impressionnant par la seule justesse de ses cuissons, la finesse et le fondant de ses produits (dorade basque, veau et
filet de bœuf du limousin grillés, sashimi de daurade, de
bonite et de bar de ligne), lamelles de concombre en saumure, gingembre frais, salade et algues tsukemono. On a connu assemblage plus recherché, plus avenant et néanmoins je tombe sous le charme, ravi malgré moi.
La formule à 32 € inclut en plus d'un thé
(un hoji cha) un dessert imposé qui m'offre enfin l'occasion
d'apprécier le grand point fort de la maison.
La spécialité maison, ce
dorayaki dont les deux sortes de crêpes à base de farine de blé enveloppant
une garniture de pâte de haricot rouge sucrée maison sont cuites sous mes yeux par Murata Takanori sur plaque chauffante, provoque en moi un sentiment proche de l’extase, une fois ajoutés une
couche de mascarpone et des fraises, quand en bouche entremêlent le chaud et le froid, se superposent les différentes textures et s'affirme chaque arôme.
Un pur délice dégusté dans une ambiance plus confidentielle et reposante que le pâtissier japonais historique Toraya, bruyant, suffisant
et triste à mourir au delà du possible; qui donne immédiatement envie de goûter chacune des pâtisseries de saison chacune fourrée aux azuki, préparées quotidiennement par Murata Takanori.
Comme ce très intriguant
mugite mochi (mugite signifiant blé, et mochi riz gluant, nous apprend la disponible et très attentive hôtesse des lieux), une
pâtisserie au riz gluant qui renvoie à la forme des doigts agrippant les épis de blé lors de la récolte.
Ce kashiwa mochi, très populaires chaque 5
mai au Japon, à l'occasion de la fête des garçons. Kashiwa désigne cette feuille de chêne qui enveloppe la boule de riz gluant fourrée aux haricots rouges et symbolise la prospérité.
Un autre wagashi incontournable aux moments des grands événements comme les mariages, les
naissances; le joyo manju, préparé à base de farine d'igname
et cuit à la vapeur.
Le warabi mochi, confectionné à partir de farine de fougère (warabi) et saupoudré de kinako, de la farine de soja.
D'autres douceurs font leur réapparission aux le
premiers jours de printemps, comme ce wagashi en forme de
clématite.
Le kinton, le spectaculaire wagashisi ébouriffé dont l'apprentissage nécessite plusieurs années.
Enfin, les fameuses gaufrettes en forme de lapin qui
ravissent les petits comme les grands.
Walaku
33 rue Rousselet
75007 Paris
01 56 24 11 02
Réserver impérativement la veille.