C'est une habitude que j'ai pris, d’appeler les atayef des nuages (petites crêpes libanaises fourrées à la crème de lait parfumée à la fleur d'oranger, saupoudrées de pistaches concassées et arrosées de sirop de sucre), renommées de la sorte un jour que j'en ai vu décoller de la paume de ma main et s'envoler. En comparaison, un ballon gonflé à l'hélium pèse le poids d'un éléphant mort.
Rue Hamra, on prend à droite la rue Antoine Gemayel, laquelle se jette en direction de la Corniche, et c'est sur le trottoir de droite une minuscule pâtisserie. Al Manssour. Son locataire monte sous vos yeux cette petite mécanique fragile qu'on saisit entre ses doigts avant de la faire disparaître dans la bouche en un ou deux temps - c'est selon, le troisième consistant à lécher le sucre, également non sans gloussements, dont l’extrémité doigts est inévitablement imprégnés.
Rue Bliss, l'université américaine est toute proche. On peut s'y promener sur le campus – rarement vu d'aussi beau – d’où on se lancera dans une longue marche partant de la Corniche et qui traversera le centre ville puis le quartier de Mar Mikael à Achrafié où s'est récemment installé dans un garage Tawlet, le restaurant consacré à la cuisine bio, locale, inventive ou quelques fois nostalgique, soit le prolongement naturel du Souk al Tayeb et ces producteurs avec lesquels il collabore étroitement.
Sur le principe de producteur/cuisinier, un chef se déplace chaque jour de la semaine excepté le samedi qui est la chasse gardée du brunch, pour cuisiner un buffet plus un plat du jour avec l'ambition de faire (re)découvrir des recettes traditionnelles régionales dont certaines sont tombées dans les oubliettes, des saveurs d'autrefois ou bien de tous les jours mais circonscrites à certaines régions du Liban et quasi introuvables dans les restaurants Beyrouth.
L'initiative est une bouffée d'oxygène dans cette ville où le choix est très limité et son succès est croissant au point qu'on évoque déjà de pousser plus loin l'expérience en créant des maisons communales de tradition, des centres villageois de rencontres et d'activités autour des producteurs et des artisans locaux.
Ce jour là, ce n'est pas un chef mais deux qui sont invités puisqu'il s'agit pour la première fois d'un couple - originaire du Chouf, adepte de la cuisine macrobiotique - qui s'est littéralement mis en quatre pour nous offrir la cuisine de son cœur, inspirée, végétarienne et un brin expérimentale - c'est encore une première chez Tawlet.
C'est alors une farandole de couleurs, de saveurs dont certaines appuyées par une palette de sept agrumes différentes, un festin du cœur, tout d'abord, un cadeau des dieux, ensuite. Kebbe de carotte et pois chiche concassé, mélange de haricots verts/rouge/coco, blettes farcies et riz complet, ragoût d'oignons grelottes, taboulé/quinoa, riz complet/noix/amandes, la liste est longue, chaud ou froid, le choix est vaste, les desserts sont nombreux et la citronnade maison, l'arak servis à volonté.
On notera la belle cave de vins naturels libanais et on prendra soin de réserver au moins un jour à l'avance.
Je sors de table presque en chantant, sinon en dansant (c'est assurément mon adresse favorite à Beyrouth) et c'est peut-être ce plaisir accumulé qui me donne l'élan nécessaire de remporter plusieurs parties de backgammon d'affilée, allez savoir.
Tawlet
Quartier de Mar Mikael, rue Naher (rue du Fleuve), dans le prolongement de la rue Gouraud.