C’est ici même, lorsque une fois laissée derrière lui l’église Notre Dame de Lorette, le marcheur prend son élan pour gravir la colline de Montmartre, d’abord aimable, facile, avant que loin devant, la côte se hérisse, se dresse puis se cabre sous le coup d’une impulsion nouvelle, une franche poussée qui se manifeste une fois franchi ce nouveau cap, cette frontière visible qu’est le boulevard Rochechouart.
Notre histoire se passe bien en deçà du boulevard, là ou la rue des Martyrs vient mourir, là ou elle prend également sa source, ce qui la rend éternelle à nos yeux.
On a pris connaissance d’un restaurant ouvert il y peu, né du désir de deux jeunes hommes, lesquels appuyés par un chef chinois expérimenté, cuisine quasi exclusivement des dim sum supposés dignes de ce nom, ce qui nous dispenserait enfin d’aller au casse pipe dans une de ces mangeoires suspectes de l’Empire du Milieu. On ne s’emballe pas si vite, on ne crie pas victoire, quoique on ait le sentiment d’être à deux doigts de la délivrance.
De nos séjours à Hong Kong, nous avons appris que l’art du dim sum d’exception nécessite un apprentissage long et fastidieux ainsi que beaucoup de doigté. En conséquence de quoi, j’opte séance tenante pour le menu du midi à 14,90 euros, lequel offre l’avantage de proposer un bouquet de 4 variétés de dim sum, idéal pour se forger une opinion.
Pour patienter, je commande un thé rouge Hong Chu - la seule fausse note du repas - soit un jus de chaussette infusé du matin, conservé dans un thermos, qu‘on me sert brûlant dans un grand verre transparent (ce dont j‘ai horreur). Passons, le meilleur est à venir.
D’abord ces champignons shiitake saisis à la poile qui précèdent les boites vapeur en bambou, de même que ce bol de riz pas vraiment nécessaire et cette étonnante salade aromatisée d’une vinaigrette bluffante combinant huile d’olive, sauce soja, miel, curry et sésame. Anecdotique mais remarquable. Certes, pas autant, que peuvent l’être les dim sum arrivant fumant dans leur boite à double étage, lesquels gagnent immédiatement mes faveurs rien qu’au coup d’œil, rien qu’à en éprouver la résistance avec mes baguettes.
Les ravioli aux crevettes - les plus réputés, qui ne sont pas les plus
passionnant à mon goût - sont en général un indicateur très fiable concernant la qualité des bouchées vapeur d’une autre famille. Et pour le coup, ils sont franchement réussis, d’autorité les
meilleurs jamais gouté à Paris. Là, on se dit que l’affaire est bien engagée et que si la suite de la dégustation tient la distance, le repas promet d’être mémorable. Ce qui est effectivement le
cas, avec dans la foulée deux dim sum aux légumes (chou blanc sauté, champignons shiitake, pousse de bambou, coriandre) à couper le souffle en raison de cet équilibre parfait des saveurs, cette
harmonie des parfums et surtout cette touche de coriandre qui fait toute la différence. Et que dire de cette bouchée de poulet au satay, préparé avec une farce de champignons noirs, de
carottes et à nouveau de coriandre, qui vous transperce le cœur en son centre. Tout l’art du dim sum tient dans l’attention qu’on porte à la farce, la recherche, les efforts auxquels on consent
ou non, vous dira-t-on, et ce qui est vérifié et attesté in situ.
Si je devais garder le meilleur pour la fin, ce serait sans hésiter le dim sum au bœuf gingembre dont la farce, une nouvelle fois complexe, très travaillée et réfléchie, est composée de bœuf sauté, de pousses de soja, de gingembre, de basilic et de vin de riz de Shaoxing. Un régal qui frôle l’indécence.
Les amateurs avertis ne se contenteront pas de ces quatre propositions et reviendront goûter d’autres spécialités comme les boulettes de riz vapeur au porc mariné, champignons shiitake, poivrons, citronnelle et feuilles de citron kaffir, mais encore les boulettes de riz gluant aux crevettes, de surprenant raviolis grillés à l’esturgeon et au sésame noir, sans oublier les dim sum aux deux champignons, échalotes, persil plat avec un surprenant lait de coco.
Je pourrais m’arrêter là, mais ce ne serait pas honnête de ma part de vous cacher ces tang yuan (6 euros) que je dévorais par wagons entiers du temps que j’habitais à Shanghai et sur lesquels je ne pouvais faire l’impasse (plutôt que d’opter pour une pâtisserie griffée Sadaharu Aoki), l‘intitulé ayant immédiatement fait mouche dès mon arrivée.
Je pourrais vous raconter cette sensation semblable à aucune autre lorsque les canines percent la mince épaisseur de pâte de riz gluant par laquelle s’échappe les graines de sésame chaudes et odorantes qui vont mourir dans la soupe de lait de coco… et ces lamelles de gingembre confit… je pourrais insister sur les qualités de ce dessert, seulement, on trouvera qu’à la longue j’exagère, ce qui est très loin de la réalité.
Yoom
20 rue des Martyrs
75009 Paris
Tel: 01 56 92 19 10