Les puristes, les ayatollahs de la galette avisant le four électrique, massif, immanquable, quitteront sur le
champ cette adresse de poche toute en longueur sans même chercher à se faire draguer par la carte longue et alléchante. Les sceptiques hésiteront un bon moment avant de concéder qu'il serait
regrettable de perdre le profit de cette matinée employée à batailler pour reverser péniblement 2 couverts. Les curieux, les enthousiastes ne demanderont pas leur reste et fonceront tête baissée,
estimant qu'on a pas tous les jours la chance de faire un sort à une pizza vice championne du monde.
Étonnant mais vrai. En avril 2009, après trois participations infructueuses aux championnats du monde de Salsomaggiore (province de Parme), coup de tonnerre dans le petit monde doux dingue de la
pizza: la paire Arlette Cadot/Gino Jaskula Toniolo (formé à la prestigieuse Scuola italiana di pizzaioli de Caorle et squattant déjà l'air de rien le top 50 des pizzaiolos mondiaux), réussissent
le casse du siècle, au grand dam des italiens.
La pizza distinguée (cuite lors de la
manifestation au feu de bois, détail qui a son importance), provocante, courageusement casse gueule et chaudement vêtue pour l'hiver est une manière d'entrer de plain pied dans l'univers
gentiment foutraque, résolument fourre tout d'Il campionissimo, ou l'on trouve à la fois à boire et à manger.
Cela donnait donc un fond de chutney de figue, de fines tranches de poires fraiches, de la mozzarella sur une pâte d'une maturation de 2 à 4 jours, une
cuisson au four suivie de la mise en place d'un lit de roquette, de touches de foie gras pané à la noix puis poêlé mais encore une chiffonnade de jambon de parme, le tout se refermant sur de
larges copeaux de parmigiano reggiano. Cela porte un nom: l'Arlecchino. Et même un prix: 26 euros. Dans le genre, Pizza Chic a encore à apprendre, au point qu'Il campionissimo la ferait
presque passer pour les restos du cœur.
Vous avez compris: avec des pizzas customisées
qui semblent venues d'une autre planète et dont les tarifs se baladent sans complexe dans les 20, 30 euros, le moins qu'on puisse dire c'est qu'Il campionissimo n'y va avec le dos de la louche,
celui-ci s'offrant même le luxe de concéder la Tarantella (saint Jacques, oeufs de truites) à 33 euros.
Il ne serait pas honnête d'insister sur ce brigandage de grand chemin, cette attitude un peu voyoute qui s'applique en réalité seulement à une poignée
de pizzas ébouriffantes, quand la totalité des 70 pizzas suivantes, toutes classées par thèmes (les raffinées, les robustes, les exotiques, les océanes...) - s'échelonne entre 8 et 16 euros.

A la réflexion, pizza de parvenu ou de mou du porte monnaie, la qualité des ingrédients et celle de la pâte doivent être
sensiblement les mêmes. Seulement, si on se flatte d'employer par exemple de la pulpe de tomate avec une pointe de basilic, jamais de gruyère mais de la mozzarella fleur de lait et ainsi de
suite, l'énorme faiblesse d' Il campionissimo, pour ne pas dire la faille qui tue, le détail impardonnable qui en Italie serait synonyme de potence, est bien cette pâte soit disant élaborée à
base de farine d'Italie et d'eau minérale, pétrie d'une certaine manière pour éviter l'effet caoutchouc (très, très discutable) mais catastrophique, calamiteuse parce qu'ultra compacte,
absolument pas aérée, éprouvante à couper, difficilement mastiquable, en plus d'être fade, de n'avoir aucun goût et aucune identité qui lui soit propre. L'indéniable fraicheur des légumes aurait
pu sauver du naufrage complet ma Gino (22 euros), seulement l'accumulation d'ingrédients incapables d'exprimer leur saveur, impuissants de communiquer entre eux, de se répondre cadenasse la
pizza, la condamne au silence.
Muette, la Spécial (16 euros) l'est tout autant. Si cette
dernière est moins chargée (ce qui révèle d'autant plus l'état lamentable de la pâte), son fromage industriel (mozzarella à fleur de lait, tu parles) la plaque au sol et lui donne cet aspect –
quand bien même elle sort tout juste du four - gommeux, rigide et sans relief que prennent les tranches de pizzas en fin de soirée bien arrosée, lorsqu'elles s'ennuient au fond de leur boite
éventrée.

On pense immédiatement limiter les dégâts en relevant la fadeur de cette chose au moyen d'un filet d'huile piquante,
seulement voilà qu'on nous explique avec un ton plein de suffisance que celle-ci n'a pas chapitre dans cette maison parce qu'elle dénature la pizza. Entendons: nous sommes des Charlot qui
n'entendons rien aux bonnes choses. La bonne blague. Comme on dit, c'est l'hôpital qui se moque de la charité. Rajoutez à cela le vacarme assourdissant qui vous ronge les neurones, les deux fours
qui vous chauffent les cotes et vous aurez tôt fait de ne plus remettre les pieds dans cette taule. C'est en tout cas bien mon intention.
Il campionissimo
98 rue Fbg Montmartre
01 42 36 40
28
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