On imagine déjà les bretons hilares, se fendant la poire: «Ah ! Ces parisiens ! Faire tant de manières pour une crêpe !
Tout ce bazar pour une galette aussi indigeste et sèche qu'une feuille de papier kraft ! Bah ! ils nous feront toujours rire !»
Si seulement ils exagéraient... Si seulement... Des adresses seraient «à bannir», la Compagnie figurerait parmi les toutes
premières, sinon la première.
Ce n'est pas faute de nous en avoir mis plein la vue avec une déco ravissante signée Pierre-Yves Rochon, jouant sur trois
niveaux avec les contrastes noir/blanc, de la cave à cidres attenante jadis au Couvent des Cordeliers, à la salle du premier étage baignée de lumière naturelle à la faveur d'une verrière donnant
sur le petit jardin du Cloître. La vaisselle possède le même raffinement, qui flirte avec le luxe, presque un non-sens, une faute de mauvais goût. Et de penser: «pourquoi pas» puis, «à quoi
bon» ?
La mode à sa haute couture, la galette possède désormais la sienne. Ça nous dépasse et c'est égal: le projet reste assez
excitant quoique intrigant pour que l'on se prête au jeu. Et d'aller voir par nous même ces crêpes saisonnières (pour la moitié d'entre elles) élaborées à partir de produits bretons certifiés bio
et signés à tout va de noms illustres et inconnus (la liste est longue, très longue qu'on trouvera reproduite en dernière page de la carte), une pratique qui commence sérieusement à lasser. A
quand la bouille d' Ospital, celle de Joël Thiébault figurant face aux intitulés ? Ainsi font les japonais de la petite à la grande surface sur les sacs de riz
et quantités d'autres produits. Mais avec humilité, sans jamais chercher à épater le client, à faire chic - les producteurs dont on a reproduit le portrait demeurent pour la plupart d'illustres
anonymes que la dernière mode n'éclabousse pas.
La Compagnie de Bretagne c'est un peu l'arroseur arrosé. Olivier Roellinger (dans le
rôle du superviseur, soit LA grosse signature, la caution indispensable à une telle entreprise fichtrement coûteuse) et sa clique, souhaitant visiblement se démarquer des crêperies «bretonnantes»
jusqu'à en prendre le contre pied total, se fichent en réalité le biniou dans l’œil. D'avoir choisi d'aseptiser l'espace (cuisine «ouverte» mais condamnée par une grande vitre, comme mise sous
cloche – ici on chasse aussi bien le bruit que l'odeur..., derrière laquelle s'active une équipe contrainte vue la configuration de la pièce de se tenir de trois-quart ou de dos, classe) n'est
pas l'idée la plus malheureuse qui leur est passée par la tête. Les tarifs ne font pas non plus dans la demie mesure, qui vous éclatent au bec, détail le prix à payer pour ces crêpes sur mesure,
plutôt chic et bon genre, aux produits nobles.
Le problème c'est que cette fameuse crêpe, la Rolls de la galette, on n'en voit point.
Serait-ce cette chose ingrate, aplatie, présentée ouverte (ce qui ne donne franchement pas envie), archi cuite, sèche et sans goût qui figure sur la carte précédé de l'intitulé «Complète»
(11,50 €, jambon des Lepage, tome de Marie, comme ça on saura tout) ? Appelle-t-on ici une crêpe cette chose dont on retrouve à peine la présence de beurre salé, cette chose qui compte si peu de
fromage, à l’extérieur de laquelle est reléguée la tranche de jambon dont on se demande par quel mystère elle a taillé la route ? Un mystère qui reste entier puisque concernant une autre galette,
la saucisse grillée sur feu de bois des mêmes Lepage se la joue également perso et végète dans son coin, entière, comme une énigme. Au passage, on s'amusera de la minuscule salade de jeunes
pousses (trois feuilles, le petit clin d’œil d'inspiration japonaise qui fait toujours son petit effet - pense-t-on) aromatisée à l'huile de noix qui accompagne ces horreurs.
La crêpe sucrée (au chocolat de Sao Tomé 67%, Villa Gracinda – allons bon) réussit
l’exploit d'être pire encore: si auparavant on avait l'impression de mâcher du papier kraft, on a cette fois-ci l'impression de plonger les dents dan un tissu rêche, râpeux traversé d'un chocolat
fade, sans robustesse (67% pourtant) qui nous laisse à penser qu'il y a erreur sur la marchandise. L'affaire est pliée en trois coups de fourchette et se facture tout de même à 8 € … Cher payé
pour une crêpe qu'on pressent cuite à l'avance et réchauffée (on nous assurera bien entendu du contraire). N'en déplaise à la Compagnie, on lui préfère encore les crêpes des rue d'Odessa et du
Montparnasse, voir les bombes de Josselin, autrement plus généreuses (générosité n'est pas que quantité) et plus sympathiques, lesquelles au moins ne brillent pas par leur suffisance et leur
splendide amateurisme.
La Compagnie de Bretagne
9 rue de l'Ecole de Médecine
75006 Paris
01 43 29 39 00
www.compagnie-de-bretagne.com