Kampot n'est jamais sortie de son sommeil. Depuis que la fondation de l’exaspérante Sihanoukville en 1959 a mis fin à ses
activités portuaires, matin, midi et soir, elle reste toute engourdie de nuit, d'étoiles et de songes.
Peut-être Kampot en Khmer signifie-il ''repos'', ce dont je doute fort. Un voyageur inspiré la renommerait la ville du
silence éternel, avec sa rivière qu'on voit mais qu'on n'entend pas, sa campagne chatoyante où pas un son ne grimpe au dessus de l'autre, où la moindre mélopée d'un oiseau est un miel très doux à
vos oreilles.
Loger à quelques kilomètres du centre ville comme je le fais, c'est même tomber encore plus en dessous que le silence,
l'arracher de terre.
De telles pensées vous viennent peu après l'aube naissante, à la Java Bleue dont le jaune pâle de la façade est comme un
phare au milieu de ces rues vides d'habitants.
Vous marquez une pause après vous êtres promené dans le centre ville et avoir fait défiler sous vos yeux des dizaines de
maisons de style coloniales pour la plus part décrépites quand les plus chanceuses sont restaurées pour être transformées en restaurant, en boutique hôtel.
Vous croisez trois vieilles gloires. Au bord de la rivière, dans un premier temps, dans le prolongement des anciennes
maisons de commerce datant du protectorat français, l'ancienne résidence du gouverneur montre qu'elle a résisté solidement à l’œuvre du Temps. Un filet de vie semble même s'échapper d'entre ses
persiennes closes. Par moments on croirait entendre un mouvement de valse, des rires, des coupes de Champagne s'entrechoquant.
Vrai, Kampot a tout d'un songe. On pourrait se poser et n'en plus repartir. D'autres l'ont fait, pourquoi pas nous ? Un
jeune homme par exemple, dont on ne s'embarrasse pas de connaître la nationalité (il s'avère Belge) qui est le seul à proposer en ville des dumplings, excellents avec ça.
Moins chanceux sont les deux cinémas que le Temps a littéralement roulé dans la poussière. L'un se visite, l'autre
pas. Tous deux ne sont que ruines et désolation, si à ce stade d'abandon cela veut encore dire grand
chose.
La grande richesse bien entendu de Kampot et sa région c'est son poivre considéré comme l'un des plus fins, des plus
aromatiques, bref, l'un des tous meilleurs que produit notre bonne planète. Le poivre d'Indochine était devenu une
denrée d'importation de premier ordre depuis la fin du 19ème siècle avant que les Khmer rouges aux milieu des années 70 ne stoppent net sa production pour faire place à des rizières. Ce n'est que
très récemment, grâce à l'initiative d'un groupe d'éco-entrepreneurs, de gastronomes passionnés et de coopératives qu'on doit la renaissance de ce poivre mythique à l'arôme à la fois puissante et
délicat, qui souffle aussi bien la braise que les caresses (allons bon). Aujourd'hui,on ne compte plus les grands
chefs qui ont recours à ce poivre aux arômes et aux saveurs uniques, tellement exceptionnel qu'en 2010 il est devenu le premier produit Cambodgien à bénéficier d'une indication géographique
protégée (IGP).
Il est utile mais pas nécessaire de me rendre dans une plantation de poivriers, cette plante grimpante cultivée sur des tuteurs en bois mort ne me passionnant pas autant que les théiers, quoique croquer à jeun dès le matin une dizaine de
grains et en utiliser abondement dans ma cuisine fasse partie de mon hygiène de vie. Le vélo est plus utile que
jamais pour sillonner la région. Le temps le permet (il fait chaud mais pas au point de cuire) et il est relativement facile de trouver une âme charitable qui vous ramènera à Kampot après avoir
calé votre bicyclette à l'arrière du pick up.
Sur place j'apprends qu'afin de faciliter l'écoulement des eaux, les champs sont légèrement surélevés sur un terre plein
(le poivrier, comme le théier, a horreur d'avoir les pieds dans l'eau) et qu'autant que possible l'engrais naturel utilisé contient nombre de végétaux et à l'occasion des déchets de
crabes.
Une chose que je n'ignorais pas et que nous apprend
une petite vidéo à proximité de la salle de tri, c'est que la couleur du poivre évolue selon la maturité des grains. Aussi, concernant poivre noir
s'agit-il de baies parvenues presque à maturité puis séchées au soleil qui rendront des notes florales et saveurs épicées. Le poivre rouge au fruit
arrivé à pleine maturité dont l'écorce devient rouge est trempé, frotté puis confié au soleil. Il donnera des notes puissantes et fruitées, évoquant le caramel, la vanille et le
miel.
Le blanc se caractérise par ses baies arrivée à pleine maturité, débarrassées de leur péricarpe rouge dans l'eau puis séchées au
soleil. Ses saveurs vives et mordantes (sous la dent c'est une éruption). Quand au vert, il s'agit de poivre jeune
qu'on cuisine volontiers avec tout ce qui nous passe par la main, du poulet au crabe. On en trouve pléthore au marché, immergé dans de l'eau salée et conditionné dans des bocaux ou des bouteilles
en plastique, ce qui fait toujours de belles photos ou un joli souvenir à rapporter.
A bicyclette, toujours, on ne rechigne pas à se rendre au marais salins, ce qui fait tout de même une belle trotte mais qui
en vaut la chandelle.
Après, il est toujours temps de rentrer avant le coucher du soleil pour se rafraîchir une dernière dans la rivière sur
laquelle donne Les Manguiers, sans hésitation la meilleure adresse où séjourner sans se ruiner dans les environs de Kampot.
Les Manguiers
www.mangokampot.com
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