Toyomitsu Nakayama (Toyo pour les intimes, Toyo-san pour les idolâtres) a un cœur grand comme ça. Un cœur bondissant, indompté, un cœur en état de grâce qui a non seulement des yeux mais aussi des bras tendres et tendus qui attirent et étreignent une gastronomie française moirée de lueurs japonisantes.
Embusqué derrière la jetée, le deck qui est autant un promontoire, une promenade qu'un long comptoir boisé de 14 couverts, le gourmet extasié a tout le loisir d'observer ce muscle palpiter qui fait courir le sang chaque fois que le chef étoilé, anciennement chef privé du couturier Kenzo et passé par Bizan, saisit d' un geste qui a la proximité d'un lever de tendresse, un légume de Joël Thiebault, presse de la pointe de l'index une coquille Saint Jacques pour en estimer le degrés de cuisson ou prend l'initiative touchante et généreuse d'inclure un plat supplémentaire, voir plusieurs dans le menu d'un client. C'est que son cœur autant que son œil, sa vision, sont animés d'un mouvement qui ne finit jamais, comme perpétuellement tenu en éveil et lancé dans l'amour.
De l'amour il est beaucoup question dans ce menu à 35 € (1 entrée, 1 plat, 1 dessert) préféré à celui à 48 € (une entrée supplémentaire) qui très vite naviguera à vue, évoluant presque malgré lui, se déployant, flirtant à plusieurs reprises avec le menu carte blanche à 110 €. La cuisine de Toyo-san est ainsi: millimétrée, solide mais aimant serpenter, attraper les chemins de traverse.
Un amuse bouche comme la première strophe d'un poème: brandade de morue prise dans une fine feuille croustillante, chips de lotus. Manque le poulpe grillé que j'ai préalablement décliné. Coquetterie, calme de la composition. Irrésistible en bouche et déjà le pressentiment d'on ne sait quelle providentielle fortune.
En entrée, l'imparable carpaccio de veau signé Hugo Desnoyer, champignons de Paris crus, jus d'agrumes, pointe de vinaigre et algues blanches Shiroita Kombu (il s'agit, m' explique-t-on, d'une algue récoltée sur l'île d'Hokkaido, rabotée manuellement et macérée dans du vinaigre d'alcool) qui déconcertent mais dont la saveur unami est une expérience en soi.
S'écartant une première fois du menu qu'il n'hésite pas à court-circuiter, à dilater comme pour mieux en éprouver les limites, Toyo-san me glisse un croustillant de rouget beau et bon comme un gémissement d'amour. La panure est excellente, plus croustillante et moins grasse également que celle dégustée habituellement. On m'explique qu'il s'agit d'une fécule de pomme de terre très populaire dans la région de Kyoto (mijinko) qui se présente sous forme de petites billes blanches, celles-ci ayant l'avantage de favoriser une cuisson plus rapide et de moins retenir le gras (on ne louera jamais assez l'aisance élégante et l'attention passionnée du personnel).
Nouvelle surprise de taille en marge du menu et nouvel élan de générosité, cette patte de King Crabe pêché la veille dans les eaux du détroit de Béring et réceptionnée ce matin même vivant; galette de radis blanc (daikon), cèpe rôtie, endive braisée et cœur d'artichaut mariné. Jubilatoire.
Retour au menu avec l'agneau de lait rôti, sa purée de racine de lotus, champignon et okura. Un rêve éveillé. Cuit unilatéralement sur plaque (teppan), travaillé au chalumeau, l'agneau dont le cœur est à cru est une beauté fraîchement éclose qui fond sans délai en bouche. Puissant et passionné, touchant quasiment au divin.
Salade de fruits et gelée de verveine, en dessert, dont l'harmonie ressemble à un silence éloquent. A mille lieues d'une passion qui capture et asservit, la cuisine de Toyo est geste d'amour.
Toyo
17 rue Jules Chaplain
75006 Paris
01 43 54 28 03