On n'a pas idée pour une première visite d'aborder Manille par ses morts, par son versant funèbre. Seulement, le cimetière chinois de Manille n'est pas à proprement parler un cimetière comme les autres puisque les caveaux sont ici des villas cossues, voir des palais, une compétition acharnée entre les familles étant à l'origine d'une surenchère qui semble ne connaître aucune limite et ne reculer devant aucune fantaisie car ici le ridicule fait peut être sourire mais ne tue pas.
Aussi déconcertant que cela puisse paraître, le cimetière rappelle plus Beverly Hills que les concessions du Père Lachaise et on ne s'étonne plus au fil de la visite réalisée par un petit homme en sueur surgissant de nulle part avec sa bicyclette, d'apprendre que certaines maisons sont équipées de l'eau courante, de cuisine aménagée, de climatisation, de toilettes ou de chambres à coucher, soit un luxe que bien des mortels philippins sont encore incapable de s'offrir. De fait, ce cimetière est presque une ville en soi.
Au cœur de ces allées entretenues quotidiennement par une armée d'employés et arpentées en permanence par des dizaines de vigiles (à la différence de certains cimetières comme celui de Sangandaan il est strictement interdit aux laissés pour comptes de squatter les tombes quoique certaines trouvent moyen de loger discrètement dans celles abandonnées), l'inventeur des nouilles instantanées côtoie le patron d'une banque, lequel est voisin d'un magnat de l'informatique et du roi des boissons gazeuses dont le caveau ressemble pour la circonstance à un café (la famille venait de quitter les lieux après s'être offert un barbecue, d’où les parasols).
Qu'importe les affinités, ici l'argent est le premier critère de sélection, certaines familles n’hésitant pas à dépenser de véritables fortunes, quand elles ne se ruinent pas, pour offrir les meilleures dans l'au delà et surtout en mettre plein la vue aux locataires voisins, les propriétaires des caveaux les plus extravagants, les plus luxueux regroupant en quelques sortes les happy few du lieu.
Pour le côté kitsh, on retiendra un caveau en forme de tortue (signe de longévité), un autre agrémenté d'une piscine gonflable, en forme d'église, de temple chinois, des dizaines de caveaux avec balcon et terrasse et encore d'autres équipés d'une boite aux lettres pour écrire du courrier outre-tombe.
Tant qu'à rester dans l'univers des nantis, autant se rendre dans le quartier d'affaires de Makati au restaurant chinois du Mandarin Oriental, le Tin Hau plutôt surévalué, du moins concernant ses dim sum faibles et sans ressorts.
Quand au cadre, poussiéreux et pour tout dire quelconque, il nous laisse également sur notre faim.