Cest un poème à la Prévert, une image à la Doisneau, un morceau d'Aveyron posé comme une farce d'écolier en plein quartier des affaires. La déco est inchangée depuis les années 50, Albert Prat en cuisine met toujours autant de bonne humeur à engueuler sa femme, laquelle, bon enfant joue parfaitement le jeu et une fois de retour en salle ponctue sans relâche ses phrases d'un «jeune homme», que vous ayez 20 ans ou bien la soixantaine bien sonnée. Elle est comme ça, la femme du patron, elle fait pousser des sourires sur les visages comme la pluie fait sortir les champignons.
Le Rubis, on y vient pour cette inimitable ambiance provinciale, celle plus chahuteuse caractéristique des banquets, ou bien celle un brin désenchantée mais fort instructive dispensée par des hommes en costumes gris et détrempés. On grimpera avec plaisir au premier étage ou survit encore ce zeste d'ambiance de resto routier - plus ou moins prononcé selon les jours - qui est un régal pour les écoutilles. Aussi, on ne serait pas étonné d'y apercevoir un midi Gabin et Lino en train de casser la graine au zinc, comme de surprendre la bande à Jean Renoir faisant la bringue à l'étage. Car questions réjouissances, les tauliers sont loin d'être des drôles pour qui sait lire ces intitulés inscrit sur l'ardoise aussi évidents, aussi sonores qu'on poing sur la table. Entendez-donc: pounti (spécialité aveyronnaise à base de vert de blette, pruneaux et de plein d'autres choses inavouables) saucissons chaud, saucisse lentille, tête de veau, tripes,tripoux... Avec ça, une carte des vins à donner le tournis et un peu poète sur les bords (une carafe équivalente à deux verre et demie de nectar est baptisée «fillette», autant dire que ça ne se refuse pas.
Lesté aux rillettes maison puis au choux farci (12 euros), je ne suis certainement pas le plus malheureux des hommes en ce jour de printemps pluvieux et inexplicablement glacial, d'autant que c'est un régal sans précédent tant les légumes sont croquant à la perfection et la farce souveraine, fondante et subtilement relevée aux épices et à l'alcool. Le clafoutis aux cerises, s'il n'était pas nécessaire après un tel festin, valait sacrément le détour. Aussi, en moins de temps qu'il n'en aura fallu pour être servi, le repas était plié, le capital énergie et bonne humeur regonflé à bloc et la pluie qui redoublait d'intensité paraissait vraiment anecdotique, à peine une goutte dans un verre. Autant dire que j'avais passé au Rubis plus qu'un chouette moment.
Le Rubis
10 rue du Marché Saint Honoré
75001 Paris
Tel: 01 42 61 03 34