C'est presque la mort dans l'âme et avec de grandes appréhensions qu'on vient prendre des nouvelles de (feu?) l’Épi Dupin, un peu comme on se pencherait sans espoir au chevet d'un mourant. A hauteur des touristes qui aboient tout leur content au milieu des poutres blanchies et d'une impressionnante table d'hôte qui coure en longueur, l’œil de l'Epi Dupin est brillant, le teint frais, on lui trouve même de beaux restes. Il est vrai que si l'adresse connut son quart d'heure de célébrité au milieu des années 90 pour avoir la première eu l'audace et le génie de fusionner la gastronomie de grand père avec l'esprit bistrot, cette belle dame fardée si elle donne dans un premier temps l'illusion de la bonne santé et de la jeunesse éternelle, trahit très vite une vieille femme dont l'effondrement des chairs, la douceur rancie tournée à l'aigre n'a d'égale que la lente agonie flamboyante, celle là même du Titanic s'enfonçant dans les eaux glacées en musique.
Il suffit d'y déjeuner pour que sur le champ les soupçons deviennent certitude. Aussi, on ne s'étonne plus que le paquebot l’Épi Dupin ait totalement disparu des radars et ce en dépit de son succès qui dure. C'est pourquoi on ne l'évoque jamais que gêné, avec un haussement d'épaules suivi d'une petite moue vaguement désolée, d'autres préférant encore éviter le sujet.
Histoire d'enfoncer les clous du cercueil ou bien de souffler un peu plus sur les cendres, on avouera qu'on a détesté se délester des 26 € (deux plats, 36 les trois) requis goûter au menu déjeuner. C'est excessif et loin d'être justifié.
On vous sert une mise en bouche sans grand intérêt (crème parmentière au poireau et à la pomme de terre) et si vous daignez réclamer du pain on vous le refuse, arguant que celui-ci est «cuit minute» et que vous l'aurez par conséquent plus tard (avec le plat), ce dernier étant en train de cuir. Un comble mais pas un drame: le pain épi est infect (sans croustillant, mie compacte et dense non aérée, non alvéolée) et a l'air vaguement industriel ce dont bien entendu le restaurant se défendra du contraire (et qui nous vaudra de les prendre définitivement en pitié).
L'aigle bar rôti à la cuisson certes remarquable mais servi en dose homéopathique et ses beignets d'aubergine manquant cruellement de relief, d'intensité, continue de nous laisser perplexe, voir de provoquer quelques grincements de dents.
La chute qu'on pressentait comme inévitable et qu'on accueille presque avec soulagement se manifeste enfin avec ce pain perdu caramélisé aux abricots et sa glace verveine. En fait de
pain perdu, un pudding (tout ce que je déteste) insipide, compact et mastoc, bref, un pudding. Dommage; l'acidité des abricots poêlés servis encore chauds et la glace verveine toute de douceur et
de fraîcheur tenaient très bien la route. Toujours est-il que ce repas crispant est très limite. Si on ne frappe pas un homme à terre, ce n'est pas l'envie qui nous en manque.
L’Épi Dupin
11 rue Dupin
75006 Paris
01 42 22 64 56
www.epidupin.com