Mes séjours lisboètes ne commencent pas autrement. Un petit verre de ginja (liqueur de cerises griottes) avalé sans somation en plein cœur du Largo de Sao Domingos au minuscule et très populaire A Ginjinha. Avec la cerise au goût aigre c'est encore mieux.
Pour les noyaux, à éjecter discrètement du bout des doigts d'une pichenette intelligente ou à cracher dans le bleu du ciel, on s’arrangera. C'est donc comme cela que ça se passe. On se présente au comptoir de cette minuscule buvette qui est aussi la plus ancienne (elle remonte aux années 1840), on glisse sur le bar une petite pièce de 1 € (1,35 € avec deux cerises) et on file avec son petit verre en plastique qu'on va siroter sur le trottoir, voir un peu plus loin ou dès la tombée du jour le spectacle est permanent, partagé entre et les africaines chargées de cabas, les putainscap verdiennes, les musiciens brésiliens, mozambicains et les petits trafics en tous genre.
En somme, cette ginjinha constitue le poste d'observation idéal du bas-fond existentiel du petit peuple de la capitale et l'une des plus authentiques portes d'entrée de la ville aux sept collines. «La vie, il faut bien que ça se passe quelque part», nous rappelait non pas Pessoa mais Maurice Raphaël.
Plus tard, dans le vif de la nuit lorsque les bonnes adresses sont prises d’assaut et que les petits restaurants de quartiers refoulent du monde, il est encore temps de se rabattre sur l'une de mes imparables planques aux allures de cantine. Ici, ébullition permanente et spectacle garanti.
Ça crie fort, ça rit aux éclats, c'est souvent bondé (d'où le réflexe d'aviser les tabourets au comptoir qui se libèrent pour se jeter immédiatement dessus) et on s'y sustente de viandes, de poissons grillés et de fruits de mer très corrects et pas cher avec ça.
Comme ces âmeijoas à bulhao pato, autant dire des palourdes assaisonnées avec de l'huile, (beaucoup) d'ail (ultra fondant), de la coriandre, du sel, du poivre et un filet de citron. Si ça ne me rappelle pas certains séjours sud-est asiatiques...
Histoire de solliciter encore plus la fibre nostalgique, les sardines grillées arrivent en second rideau, bien grasses, avec du gros sel sur le paletot, comme une réminiscence d'Asilah, au Maroc, au dessus du port, il y a on dirait une éternité... Ce n'est une surprise pour personne que les voyages se nourrissent les uns les autres.
A Ginjinha
Largo de Sao Domingos, 8
Baixa
Casa da India
53 rua do Loreto
Chiado